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L’ESPRIT RELIGIEUX

il y a pis encore. Plus un homme représente un type d’espèce supérieure, plus ses chances de réussite deviennent minimes. Le hasard, la loi du non-sens dans l’économie humaine, apparaît le plus odieusement dans les ravages qu’il exerce sur les hommes supérieurs, dont les conditions vitales subtiles et multiples sont difficiles à évaluer. Or, quelle est l’attitude des deux religions, les plus grandes de toutes, à l’égard de ces déchets composés de cas manqués ? Toutes deux cherchent à conserver, à maintenir dans la vie ce qui s’y laisse maintenir. Mieux encore, elles prennent même parti, par principe, pour les cas manqués, étant les religions de ceux qui souffrent, elles donnent raison à tous ceux qui pâtissent de la vie comme d’une maladie, et voudraient obtenir que tout autre sentiment de la vie fût considéré comme faux et devînt impossible. Quelle que soit l’importance accordée à ce souci de ménagement et de conservation qui s’applique et s’appliquait encore au type supérieur de l’homme, jusqu’à présent presque toujours le type le plus souffrant, tout compte fait, ces deux religions, restées souveraines, sont une des principales causes qui ont maintenu le type « homme » à un niveau inférieur. Elles renfermaient en germe trop de choses qui devaient périr. On leur doit des services inappréciables, et qui donc se sentirait animé d’une reconnaissance assez grande pour ne pas se trouver pauvre en face de ce que les « hom-