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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

propre aspect, elle agit comme une philosophie épicurienne agit généralement sur les souffrances d’une classe plus haute, fortifiant, affinant, utilisant même la souffrance, pour la justifier et la sanctifier. Peut-être n’y a-t-il rien d’aussi digne de respect, dans le christianisme et le bouddhisme, que l’art d’apprendre aux petits à s’élever par la piété dans l’apparence d’un ordre supérieur, à se contenter ainsi de l’ordre véritable où ils vivent, assez durement, il est vrai, mais il importe de conserver cette dureté !

62.

Enfin, — pour montrer aussi la fâcheuse contre-partie de ces religions et le danger inquiétant qu’el­les font courir — cela se paye toujours terriblement cher quand on ne garde pas les religions comme moyen de discipline et d’éducation dans la main des philosophes, mais quand on les laisse agir par elles-mêmes, souveraines, leur laissant la latitude de s’ériger en fins dernières, au lieu de rester des moyens, à côté d’autres moyens. Chez l’homme, comme chez toutes les autres espèces animales, se trouve un excédent d’individus manqués, malades, dégénérés, infirmes, qui souffrent nécessairement. Les cas de réussite sont toujours des exceptions, même chez l’homme, et surtout des exceptions rares, si l’on considère que l’homme est un animal dont les qualités ne sont pas encore fixées. Mais