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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

politique et de l’économie de son temps. L’influence sélectrice et éducatrice, c’est-à-dire tout autant celle qui détruit que celle qui crée et modèle, l’influence susceptible d’être exercée au moyen de la religion, est diverse et multiple selon l’espèce d’hommes qu’on lui confie. Pour les hommes forts et indépendants, préparés et prédestinés au commandement, où s’incarne l’esprit et l’art d’une race dominante, la religion est un moyen de plus pour surmonter les résistances et pour dominer. Elle est un lien qui unit maîtres et sujets, qui révèle et livre aux maîtres la conscience des sujets, ce que cette conscience a de plus intime et de plus caché et qui précisément voudrait se dérober à l’obéissance. Dans le cas où certaines natures d’origine noble inclineraient, par une haute spiritualité, vers une existence plus retirée, plus contemplative, et ne se réserveraient que le côté délicat du gouvernement (exercé sur des disciples choisis ou les membres d’une même communauté), la religion peut même être utilisée comme moyen de trouver le calme, loin du bruit et des vicissitudes qu’entraîne le gouvernement plus grossier, de se laver les mains de la malpropreté inhérente à toute action politique. C’est ainsi que l’entendaient, par exemple, les brahmanes. Grâce à leur organisation religieuse, ils se donnèrent le pouvoir de nommer ses rois au peuple, tandis qu’eux-mêmes se tenaient à l’écart, ayant le sentiment de