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L’ESPRIT RELIGIEUX

leurs, bonté, au point que l’on ne souffre plus de son aspect.

60.

Aimer l’homme pour la grâce de Dieu, ce fut jusqu’à présent le sentiment le plus distingué et le plus lointain qui ait été réalisé parmi les hommes. L’amour des hommes sans arrière-pensée sanctificatrice est une bêtise de plus, qui tient de l’animalité. L’amour des hommes n’a reçu que grâce à un penchant supérieur toute sa mesure, sa subtilité, son grain de sel, sa parcelle d’ambre. Quel que soit l’homme qui ait eu le premier le sentiment de tout cela, qui le premier ait « vécu » tout cela, de quelque façon que sa langue ait fourché, lorsqu’elle essaya d’exprimer, pour la première fois, une pareille douceur, il n’en demeure pas moins sacré pour nous, et digne d’honneur dans tous les temps, cet homme qui a volé le plus haut jusqu’à présent et dont les errements ont revêtu le plus de beauté !

61.

Le philosophe tel que nous l’entendons, nous autres esprits libres, — comme l’homme dont la responsabilité s’étend le plus loin, dont la conscience embrasse le développement complet de l’humanité, ce philosophe se servira des religions pour son œuvre de discipline et d’éducation, de même qu’il se servira des conditions fortuites de la