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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

Tibère dans la grotte de Mithra de l’île Caprée, le plus épouvantable de tous les anachronismes romains. Plus tard, durant l’époque morale de l’humanité, on sacrifiait à son dieu ses instincts les plus violents, on lui sacrifiait sa propre « nature » ; cette joie de fête éclate dans le regard cruel de l’ascète, de l’illuminé « contre-nature ». Et enfin, que restait-il encore à sacrifier ? Ne fallait-il pas sacrifier enfin tout ce qui consolait, sanctifiait et guérissait, tout espoir, toute foi en une harmonie cachée ? Ne fallait-il pas sacrifier Dieu lui-même, et, par cruauté vis-à-vis de soi-même, adorer la pierre, la bêtise, la lourdeur, le destin, le néant ? Sacrifier Dieu au néant — ce mystère paradoxal de la dernière cruauté a été réservé à notre génération montante, nous en savons tous déjà quelque chose. —

56.

Celui qui, par une sorte de désir énigmatique, s’est, comme moi, longtemps efforcé de méditer le pessimisme jusque dans ses profondeurs, de délivrer celui-ci de son étroitesse et de sa niaiserie mi-chrétienne, mi-allemande, car c’est sous cet aspect qu’il nous est apparu en dernier lieu durant ce siècle, je veux dire sous forme de philosophie schopenhauérienne. Celui qui a véritablement considéré une fois, sous tous ses aspects, avec un œil asiatique et superasiatique la pensée la plus