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piqûres de mouches de l’âme et du corps, et voudraient faire apparaître, dans la pénurie de véritables expériences douloureuses, l’imagination du supplice comme une souffrance d’espèce supérieure. — Il y aurait bien un remède contre les philosophies pessimistes et la trop grande sensibilité qui me semble être la véritable « misère du présent » : — mais peut-être ce remède paraîtrait-il trop cruel et serait-il lui-même compté parmi les symptômes sur lesquels on se base pour prétendre maintenant que « l’existence est quelque chose de mauvais ». Eh bien ! le remède contre la « misère » s’appelle : misère.

49.

La générosité et ce qui lui ressemble. — Les phénomènes paradoxaux, tels que la froideur soudaine dans l’attitude d’un homme sentimental ; tels que l’humour du mélancolique, tels que, avant tout, la générosité, en tant que renoncement soudain à la vengeance ou à la satisfaction de l’envie — se présentent chez les hommes qui possèdent une puissante force centrifuge, chez les hommes qui sont pris d’une soudaine satiété et d’un dégoût subit. Leurs satisfactions sont si rapides et si violentes qu’elles sont immédiatement suivies d’antipathie, de répugnance et de fuite dans le goût opposé : dans ces contrastes se résolvent les crises du sentiment, chez l’un par une froideur subite, chez l’autre par un accès d’hilarité, chez un troisième par les larmes et le sacrifice de soi. L’homme gé-