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narcotiques même agissent plus lentement et exigent de la patience, à l’encontre de l’insupportable soudaineté de ce poison européen, l’alcool.

43.

Ce que révèlent les lois. — On se méprend grossièrement en étudiant la pénalité d’un peuple comme si elle était l’expression de son caractère ; les lois ne révèlent pas ce qu’est un peuple, mais seulement ce qui lui paraît étrange, bizarre, monstrueux, étranger. La loi se rapporte aux exceptions de la moralité des mœurs ; et les punitions les plus dures frappent ce qui est conforme aux mœurs du peuple voisin. C’est ainsi que, chez les Wahabis, il n’y a que deux péchés mortels : avoir un autre dieu que celui des Wahabis et — fumer (ils désignent cela comme « la plus honteuse manière de boisson »). « Et qu’est-ce qui en est du meurtre et de l’adultère ? » — interrogea avec étonnement l’Anglais à qui l’on rapportait ces choses. « Eh bien ! Dieu est plein de grâce et de miséricorde ! » — répondit le vieux chef. — De même il y avait chez les anciens Romains une croyance qu’une femme ne pouvait se rendre coupable d’un péché mortel que de deux façons : d’une part en commettant adultère et d’autre part — en buvant du vin. Le vieux Caton prétendait que l’on n’avait créé l’usage de s’embrasser entre parents que pour contrôler les femmes sur ce point ; un baiser signifiait : sent-elle le vin ? Et l’on a véritablement puni de mort les femmes que l’on surprenait en train de boire du vin : et ce