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40.

De l’absence des formes nobles. — Les soldats et leurs chefs ont encore des rapports bien supérieurs à ceux des ouvriers et des patrons. Provisoirement du moins, toute civilisation à base militaire se trouve bien au-dessus de tout ce que l’on appelle civilisation industrielle : cette dernière, dans son état actuel, est la forme d’existence la plus basse qu’il y ait eu jusqu’à présent. Ce sont simplement les lois de la nécessité qui sont ici en vigueur : on veut vivre et l’on est forcé de se vendre, mais on méprise celui qui exploite cette nécessité et qui s’achète, le travailleur. Il est singulier que la soumission à des personnes puissantes, qui inspirent la crainte et même la terreur, à des tyrans et des chefs d’armées produit une impression beaucoup moins pénible que la soumission à des personnes inconnues et sans intérêt, comme le sont toutes les illustrations de l’industrie : dans le patron, l’ouvrier ne voit généralement qu’un homme rusé et exploiteur, un chien qui spécule sur toutes les misères et dont le nom, l’allure, les mœurs, la réputation lui sont tout à fait indifférents. Les fabricants et les grands entrepreneurs du commerce ont probablement beaucoup trop manqué, jusqu’à présent, de toutes ces formes et de ces signes distinctifs de la race supérieure, qui sont nécessaires pour rendre des personnes intéressantes ; s’ils avaient dans leur regard et dans leur geste la distinction de la noblesse héréditaire, il n’existerait peut-être pas de socialisme des masses. Car au fond les masses sont prêtes à l’esclavage