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de lire et d’écrire ; chacun y est exercé, même lorsqu’il n’est pas commerçant, et il s’exerce encore chaque jour dans cette matière : tout comme autrefois, à l’âge des hommes plus sauvages, chacun était chasseur et s’exerçait jour pour jour dans l’art de la chasse. À cette époque-là la chasse était vulgaire : mais tout comme celle-ci finit par devenir un privilège des puissants et des nobles et perdit ainsi son caractère journalier et vulgaire, par le fait qu’elle cessa d’être nécessaire pour se changer en objet de plaisir et de luxe : — il pourrait en advenir une fois de même de l’achat et de la vente. On peut imaginer des conditions de la société où l’on ne vend ni n’achète et où la nécessité de cet art se perd peu à peu complètement ; peut-être qu’alors il y aura des individus moins soumis aux lois de la condition générale qui se permettront l’achat et la vente comme un luxe du sentiment. Alors seulement le commerce prendrait de la distinction et les nobles s’en occuperaient peut-être tout aussi volontiers qu’ils s’occupent jusqu’à présent de guerre et de politique : tandis qu’au contraire il se pourrait que les évaluations de la politique fussent complètement transformées. Maintenant déjà la politique cesse d’être le métier du gentilhomme : et il serait possible qu’on la trouvât un jour tellement vulgaire qu’on la rangerait, comme toute littérature de partis et de journaux, sous la rubrique « prostitution de l’esprit ».