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LE GAI SAVOIR

20.

Dignité de la folie. — Encore quelques milliers d’années sur la voie qui suivit le dernier siècle ! — et dans tout ce que fait l’homme la plus haute sagesse sera visible : mais par cela justement la sagesse aura perdu toute sa dignité. Certes, il sera alors nécessaire d’être sage, mais ce sera aussi si vulgaire et si ordinaire qu’un esprit dégoûté pourra considérer cette nécessité comme une grossièreté. Et de même qu’une tyrannie de la vérité et de la science serait capable d’amener une hausse dans la valeur du mensonge, de même une tyrannie de la sagesse pourrait faire germer un nouveau genre de noblesse d’âme. Être noble — ce serait peut-être alors avoir des folies dans la tête.

21.

À ceux qui enseignent le désintéressement. — On appelle bonnes les vertus d’un homme, non en regard des effets qu’elles ont pour lui-même, mais en regard des effets que nous leur supposons pour nous et pour la société : — dans l’éloge de la vertu on a été, de tous temps, très peu « désintéressé », très peu « non égoïste » ! Car autrement on aurait dû remarquer que les vertus (comme l’application, l’obéissance, la chasteté, la piété, la justice) sont généralement nuisibles à celui qui les possède, étant des instincts qui règnent avec par trop de violence et d’avidité, des instincts qui ne veulent à aucun prix se laisser tenir en équilibre par la raison, avec