Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/394

Cette page a été validée par deux contributeurs.


L’Église s’entend à vivre,
Elle sonde les cœurs et les visages.
Elle veut toujours me pardonner —
Et qui donc ne me pardonne pas ?
On murmure du bout des lèvres,
On s’incline et l’on s’en va,
Avec un petit péché neuf,
On efface vite l’ancien.

Béni soit Dieu sur la terre,
Qui aime les jolies filles,
Et se pardonne volontiers
Cette espèce de peine de cœur.
Tant que mon petit corps est joli,
C’est la peine d’être pieuse :
Quand je serai une vieille femme
Le diable viendra me chercher !




LA BARQUE MYSTÉRIEUSE



La nuit dernière, quand tout dormait,
Et que, dans la rue, on entendait à peine
Les soupirs incertains du vent,
Mes oreillers ne me donnaient pas le sommeil,
Ni le pavot, ni ce qui fait encore
Dormir, — une bonne conscience.

Enfin, renonçant au sommeil,
Je courus vers la plage.
Il faisait clair de lune et doux — et, dans le sable chaud,
Je trouvai l’homme avec sa barque.
Tous deux sommeillaient, le berger et la brebis : —
Sommeillante la barque quitta la rive.

Une heure se passa, peut-être deux,
Ou bien était-ce une année ?