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des puits ouverts au bord de la route, ne voulant interdire à personne de puiser chez nous, nous ne savons malheureu­sement pas nous garer, lorsque nous désirerions le faire, nous n’avons pas de moyen pour empêcher que l’on nous trouble, que l’on nous obscurcisse, — que l’époque où nous vivons jette au fond de nous-mêmes sa « contemporanéité », que les oiseaux malpropres de cette époque y jettent leurs immondices, les gamins leurs colifichets, et des voyageurs épuisés qui s’y reposent leurs petites et leurs grandes misères. Mais nous ferons ce que nous avons toujours fait : nous entraînerons ce que l’on nous jette dans notre profondeur — car nous sommes profonds, nous n’oublions pas — et nous redevenons clairs

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Interruption du fou. — Ce n’est pas un misanthrope, celui qui a écrit ce livre : la haine des hommes se paye cher aujourd’hui. Pour pouvoir haïr comme autrefois l’on savait haïr l’homme, à la façon de Timon, dans l’ensemble, sans déduction, avec tout l’amour de la haine — pour cela il faudrait pouvoir renoncer au mépris, et combien de joie subtile, combien de patience, combien de bonté même, devons-nous justement à notre mépris ! Avec notre mépris nous sommes de plus les « élus de Dieu » : le subtil mépris est à notre goût, il est notre privilège et notre art, peut-être notre vertu, à nous autres modernes parmi les modernes… La haine, par contre, vous égalise, vous