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loppe ainsi, une tendance qui ne laisse pas échapper facilement le caractère incertain des choses ; de même une antipathie contre les grandes phrases et les attitudes morales, un goût qui refuse tous les contrastes lourds et grossiers et qui a conscience, avec fierté, de son habitude des réserves. Car c’est cela qui fait notre orgueil, cette légère tension des guides, tandis que notre impétueux besoin de certitude nous pousse en avant, l’empire que, dans ses courses les plus sauvages, le cavalier a sur lui-même : car, avant comme après, nous montons les bêtes les plus fougueuses, et si nous hésitons, c’est le danger moins que toute autre chose qui nous fait hésiter…

376.

Le ralentissement dans notre temps. — Tel est le sentiment de tous les artistes, de tous les hommes qui créent des « œuvres », de l’espèce maternelle parmi les hommes : ils s’imaginent toujours, chaque fois qu’une période de leur vie est terminée — une période qui se clôt sur une œuvre —, qu’ils ont atteint le but lui-même. Toujours ils accepteraient alors la mort avec patience en se disant : « Nous sommes mûrs pour elle. » Ce n’est pas là l’expression de la fatigue, — mais bien plutôt d’une certaine douceur de l’automne ensoleillé que laisse chaque fois derrière elle, chez son auteur, l’œuvre elle-même, la maturité d’une œuvre. Alors l’allure de la vie se ralentit, elle devient épaisse et lourde de miel — jusqu’à de longs points de repos, jusqu’à la foi au long point de repos…