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« cœur ». Ces philosophes anciens étaient sans cœur : c’était toujours une sorte de vampirisme que de philosopher. N’avez-vous pas, à l’aspect de figures comme celle de Spinoza, l’impression de quelque chose de profondément énigmatique et d’inquiétant ? Ne voyez-vous pas le spectacle qui se joue ici, le spectacle de la pâleur qui augmente sans cesse, — de l’appauvrissement des sens, interprété d’une façon idéaliste ? Ne vous doutez-vous pas de la présence, à l’arrière-plan, d’une sangsue demeurée longtemps cachée, qui commence par s’attaquer aux sens et qui finit par ne garder, par ne laisser que les ossements et leur cliquetis ? — je veux dire des catégories, des formules, des mots (car, que l’on me pardonne, ce qui est resté de Spinoza, amor intellectualis dei, est un cliquetis et rien de plus ! qu’est-ce qu’amor, qu’est-ce que deus, quand ils n’ont même pas une goutte de sang ?) En somme : tout idéalisme philosophique fut jusqu’à présent quelque chose comme une maladie, partout où il ne fut pas, comme dans le cas de Platon, la prévoyance d’une santé trop riche et dangereuse, la crainte de sens prépondérants, la sagesse d’un sage disciple de Socrate. — Peut-être, nous autres hommes modernes, ne sommes-nous pas assez bien portants pour avoir besoin de l’idéalisme de Platon. Et nous ne craignons pas les sens, parce que — —

373.

La « science » en tant que préjugé. — C’est une