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moins en honneur cette destinée, elle demeure ce que nous ne saurions partager, communiquer, — la destinée de la hauteur, notre destinée…

372.

Pourquoi nous ne sommes pas des idéalistes. — Autrefois les philosophes craignaient les sens : avons-nous peut-être trop désappris cette crainte ? Nous sommes aujourd’hui tous des sensualistes, nous autres hommes d’aujourd’hui et hommes de l’avenir en philosophie, non selon la théorie, mais en pratique, pratiquement… Ceux-ci, au contraire, croyaient être attirés par les sens, hors de leur monde, le froid royaume des « idées », dans une île dangereuse et plus méridionale, où ils craignaient de voir leurs vertus de philosophes fondre comme la neige au soleil. C’était alors presque une condition à être philosophe que d’avoir de la cire dans les oreilles ; un véritable philosophe n’entendait plus la vie, pour autant que la vie est musique, il niait la musique de la vie, — c’est une vieille superstition de philosophe que de croire que toute musique est musique de sirène. — Or, nous serions tentés aujourd’hui de juger dans un sens opposé (ce qui pourrait être en soi tout aussi faux) : de croire que les idées sont d’une séduction plus dangereuse que les sens, avec leur aspect froid et anémique, et pas même malgré cet aspect, — les idées vécurent toujours du « sang » des philosophes, elles rongèrent toujours les sens des philosophes et même, si l’on veut nous croire, leur