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force, sans même que cette force en soit paralysée et entravée dans sa production ; mais il peut arriver le contraire — et c’est là-dessus que j’aimerais attirer l’attention de l’artiste. Un créateur continuel, une « mère » parmi les hommes, dans le sens supérieur du mot, quelqu’un qui ne sait et ne connaît plus autre chose que les grossesses et les enfantements de son esprit, qui n’a plus du tout le temps de réfléchir sur sa personne et sur son œuvre et de les comparer, qui n’a plus non plus l’intention d’exercer son goût, qui l’oublie simplement et le laisse aller au hasard, — un tel homme finira peut-être par produire des œuvres que sa capacité de jugement ne peut depuis longtemps plus atteindre : ce qui fait qu’il dira des bêtises sur elles et sur lui-même, — il en dira et il en pensera. Cela me semble être le rapport presque normal chez les artistes féconds, — personne ne connaît plus mal un enfant que ses parents. — Je dirai même qu’il en est ainsi, pour prendre un exemple énorme, du monde des poètes et des artistes grecs tout entier : il n’a jamais « su » ce qu’il a fait…

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Qu’est-ce que le Romantisme ? — On se souvient peut-être, du moins parmi mes amis, que j’ai commencé par me jeter sur le monde moderne, avec quelques erreurs et quelques exagérations, et, en tous les cas, rempli d’espérances. Je considérais, — qui sait à la suite de quelles expériences personnelles ? — le pessimisme philosophique du dix-neu-