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mal, — oh ! combien nous devinons vite comment un auteur est arrivé à ses idées, si c’est assis devant son encrier, le ventre enfoncé, penché sur le papier : oh ! combien vite alors nous en avons fini de son livre ! Les intestins comprimés se devinent, on pourrait en mettre la main au feu, tout comme se devinent l’atmosphère renfermée de la chambre, le plafond de la chambre, l’étroitesse de la chambre. — Ce furent là mes pensées en fermant tout à l’heure un brave livre savant, j’étais reconnaissant, très reconnaissant, mais soulagé aussi… Dans le livre d’un savant il y a presque toujours quelque chose d’oppressé qui oppresse : le « spécialiste » s’affirme toujours en quelque endroit, son zèle, son sérieux, sa colère, sa présomption au sujet du recoin où il est assis à tisser sa toile, sa bosse, tout spécialiste a sa bosse. — Un livre savant reflète toujours aussi une âme qui se voûte : tout métier force son homme à se voûter. Que l’on revoie les amis avec qui on a été jeune après qu’ils ont pris possession de leur science : hélas ! c’est toujours le contraire qui a eu lieu, hélas ! c’est d’eux que, dès lors et pour toujours, la science a pris possession. Incrustés dans leur coin jusqu’à être méconnaissables, sans liberté, privés de leur équilibre, amaigris et anguleux partout, sauf à un seul endroit où ils sont excellemment ronds, — l’on est ému et l’on se tait lorsqu’on les retrouve. Tout métier, en admettant même qu’il soit une mine d’or, a au-dessus de lui un ciel de plomb qui oppresse l’âme, qui presse sur elle jusqu’à ce qu’elle soit bizarrement écrasée et voûtée. Il n’y a rien à changer à cela. Que l’on ne se figure surtout