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tiste » — une conception traitée jusqu’à présent avec une impardonnable naïveté — et je me demandais si ce problème du comédien ne me conduirait pas à mon but. La fausseté en bonne conscience ; la joie de dissimuler, faisant irruption comme une force, repoussant ce que l’on appelle le « caractère », submergeant et effaçant parfois le désir intime de revêtir un rôle, un masque, une « apparence » ; un excédent de facultés d’assimilation de toutes espèces qui ne savent plus se satisfaire au service de l’utilité la plus proche et la plus étroite : tout cela n’appartient peut-être pas en propre uniquement au comédien… De tels instincts se seront peut-être développés le plus facilement dans des familles du bas peuple qui, sous l’empire du hasard, dans une dépendance étroite, traversèrent péniblement leur existence, furent forcées de s’accommoder de l’incommode, de se plier aux circonstances toujours nouvelles, de se montrer et de se présenter autrement qu’elles n’étaient et qui finissaient, peu à peu, par savoir suspendre leur manteau d’après tous les vents, devenant ainsi presque identiques à ce manteau, étant passées maîtres dans l’art, assimilé et invétéré dès lors, d’un éternel jeu de cache-cache que l’on appelle mimicry chez les animaux : jusqu’à ce que, pour finir, ce pouvoir, accumulé de génération en génération, devienne despotique, déraisonnable, indomptable, apprenne, en tant qu’instinct, à commander d’autres instincts, et engendre le comédien, l’ « artiste » (d’abord le bouffon, le hâbleur, l’arlequin, le fou, le clown, et aussi le domestique classique, le Gil Blas : car de pareils types sont les