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leurs destructeurs, — les Allemands. Il semble que les Allemands ne comprennent pas la nature d’une Église. Ne sont-ils pas assez intellectuels, pas assez méfiants pour cela ? L’édifice de l’Église repose en tous les cas sur une liberté et une libéralité de l’esprit toutes méridionales et aussi sur une défiance méridionale de la nature, de l’homme et de l’esprit, — elle repose sur une tout autre connaissance des hommes, une tout autre expérience des hommes que n’en a eues le Nord. La réforme de Luther était, dans toute son étendue, l’indignation de la simplicité contre la « multiplicité », pour parler avec prudence, un malentendu grossier et honnête auquel on peut beaucoup pardonner. — On ne comprenait pas l’expression d’une Église victorieuse et l’on ne voyait que de la corruption. On se méprit sur le scepticisme distingué, ce luxe de scepticisme et de tolérance que se permet toute puissance victorieuse et sûre d’elle-même. On néglige aujourd’hui de s’apercevoir combien Luther avait la vue courte, combien il était mal doué, superficiel et imprudent, pour toutes les questions cardinales de la puissance, avant tout parce qu’il était homme du peuple, à qui tout l’héritage d’une caste régnante, tout instinct de puissance faisait défaut : en sorte que son œuvre, sa volonté de reconstitution de cette œuvre romaine, sans qu’il le voulût, sans qu’il le sût, ne fut que le commencement d’une œuvre de destruction. Il ébranla, il détruisit, avec une loyale colère, là où la vieille araignée avait tissé sa toile le plus longtemps et avec le plus de soin. Il livra les livres