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hauer avec son pessimisme, c’est-à-dire avec le problème de la valeur de la vie, fût justement un Allemand. Je ne le crois pas. L’événement qui devait accompagner ce problème avec certitude, en sorte qu’un astronome de l’âme aurait pu en calculer le jour et l’heure, l’événement que fut la décadence de la foi en le Dieu chrétien et la victoire de l’athéisme scientifique, est un événement universellement européen, auquel toutes les races doivent avoir leur part de mérite et d’honneurs. Par contre il faudrait imputer justement aux Allemands, à ces Allemands qui furent contemporains de Schopenhauer — d’avoir retardé le plus longtemps et le plus dangereusement cette victoire de l’athéisme ; Hegel surtout fut un empêcheur par excellence[1], grâce à la tentative grandiose qu’il fit pour nous convaincre encore, tout à fait en fin de compte, de la divinité de l’existence, à l’aide de notre sixième sens, le « sens historique ». Schopenhauer fut, en tant que philosophe le premier athée convaincu et inflexible que nous ayons eu, nous autres Allemands : c’est là le fond de son inimitié contre Hegel. Il considérait la non-divinité de l’existence comme quelque chose de donné, de palpable, d’indiscutable ; il perdait chaque fois son sang-froid de philosophe et se mettait dans tous ses états lorsqu’il voyait quelqu’un hésiter ici et faire des périphrases. C’est sur ce point que repose toute sa droiture : car l’athéisme absolu et loyal est la condition première à la position de son problème, il est pour lui une victoire, définitive et difficilement remportée, de la conscience européenne, l’acte le plus fé-

  1. En français dans le texte. (N. d. T.)