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la société, en suspicion de déshonneur. — C’est alors que paraissent les épo­ques les plus intéressantes et les plus folles de l’histoire, où les « comédiens », toute espèce de comédiens, sont les véritables maîtres. Par cela même une autre catégorie d’hommes se voit toujours davantage porter préjudice, jusqu’à ce qu’elle soit rendue complètement impossible, ce sont avant tout les grands « constructeurs » ; mainte­nant la force constructive est paralysée ; le courage de tirer des plans à longue échéance se décourage ; les génies organisateurs commencent à manquer : — qui donc oserait encore entreprendre des œuvres pour l’achèvement des­quelles il faudrait pouvoir compter sur des milliers d’années ? Car cette croyance fondamentale est en train de disparaître, cette croyance en raison de quoi quelqu’un ne pourrait compter, promettre, tirer des plans pour l’avenir, sacrifier l’avenir à ses plans que dans la mesure où s’affirmerait le principe que l’homme n’a de valeur, de sens, qu’en tant qu’il est une pierre dans un grand édifice : ce pour quoi il faut avant tout qu’il soit solide, qu’il soit « pierre »… Et avant tout qu’il ne soit pas — comédien ! En un mot — hélas ! on s’en taira trop longtemps — ce qui dorénavant ne sera plus construit, ne pourra plus être construit, c’est une société au sens ancien du mot ; pour construire cet édifice tout nous manque, et, avant tout, les matériaux de construction. Nous tous, nous ne sommes plus des matériaux pour une société : c’est là une vérité qu’il est temps de dire. Il me semble indifférent que pour le moment l’espèce d’hommes la plus myope, peut-