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conscience si, pour tout ce qui est essentiel, elle est superflue ? — Dès lors, si l’on veut écouter ma réponse à cette question et les suppositions, peut-être lointaines, qu’elle me suggère, la finesse et la force de la conscience me paraissent toujours être en rapport avec la faculté de communication d’un homme (ou d’un animal), et, d’autre part, la faculté de communication en rapport avec le besoin de communication : mais il ne faut pas entendre ceci comme si l’individu qui serait justement maître dans la communication et dans l’explication de ses besoins devrait être lui-même réduit, plus que tout autre, à compter sur ses semblables dans la réalisation de ses besoins. Il me semble pourtant qu’il en est ainsi par rapport à des races tout entières et des générations successives. Quand le besoin, la misère, ont longtemps forcé les hommes à se communiquer, à se comprendre réciproquement d’une façon rapide et subite, il finit par se former un excédent de cette force et de cet art de communication, en quelque sorte une fortune qui s’est amassée peu à peu, et qui attend maintenant un héritier qui la dépense avec prodigalité (ceux que l’on appelle des artistes sont de ces héritiers, de même les orateurs, les prédicateurs, les écrivains : toujours des hommes qui arrivent au bout d’une longue chaîne, des hommes tardifs au meilleur sens du mot, et qui, de par leur nature, sont des dissipateurs). En admettant que cette observation soit juste, je puis continuer par cette supposition que la conscience s’est seulement développée sous la pression du besoin de commu-