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pés de formules morales et de notions de convenance, à ce que nos actes fussent bénévolement cachés sous les idées du devoir, de la vertu, de l’esprit civique, de l’honorabilité, du désintéressement ? Ce n’est pas que je croie qu’il faille peut-être masquer ainsi la méchanceté et l’infamie humaine, bref la dangereuse bête sauvage qui est en nous ; au contraire ! c’est précisément en tant que bêtes domestiques que nous sommes un spectacle honteux et que nous avons besoin d’un travestissement moral, — l’« homme intérieur » en Europe n’est pas assez inquiétant pour pouvoir se « faire voir » avec sa férocité (pour qu’elle le rende beau). L’Européen se travestit avec la morale parce qu’il est devenu un animal malade, infirme, estropié, qui a de bonnes raisons pour être « apprivoisé », puisqu’il est presque un avorton, quelque chose d’imparfait, de faible et de gauche… Ce n’est pas la férocité de la bête de proie qui éprouve le besoin d’un travestissement moral, mais la bête du troupeau, avec sa médiocrité profonde, la peur et l’ennui qu’elle se cause à elle-même. La morale attife l’Européen — avouons-le ! — pour lui donner de la distinction, de l’importance, de l’apparence, pour le rendre « divin ». —

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De l’origine des religions. — Les véritables inventions des fondateurs de religion sont, d’une part : d’avoir fixé une façon de vivre déterminée, des mœurs de tous les jours, qui agissent comme une discipline de la volonté et suppriment en même