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« croyant » ; il y aurait lieu d’imaginer par contre une joie et une force de souveraineté individuelle, une liberté du vouloir, où l’esprit abandonnerait toute foi, tout désir de certitude, exercé comme il l’est à se tenir sur les cordes légères de toutes les possibilités, à danser même au bord de l’abîme. Un tel esprit serait l’esprit libre par excellence[1].

348.

De l’origine du savant. — Le savant, en Europe, tire son origine de toutes espèces de classes et de conditions sociales, tel une plante qui n’a pas besoin d’un sol particulier ; c’est pourquoi il prend place, essentiellement et involontairement, parmi les soutiens de la pensée démocratique. Mais cette origine se devine. Si l’on a un peu exercé son œil à découvrir et à prendre sur le fait, dans un ouvrage ou un traité scientifique, l’idiosyncrasie du savant — chaque savant possède la sienne —, l’on reconnaîtra presque toujours, derrière cette idiosyncrasie, l’histoire primitive du savant, sa famille et particulièrement le caractère professionnel et les métiers de sa famille. Lorsque le sentiment d’avoir « démontré » quelque chose que l’on a « mené à bonne fin » trouve son expression, c’est généralement l’ancêtre dans le sang et dans l’instinct du savant qui, à son point de vue, approuve un « travail fait » ; — la croyance en une démonstration n’est que le symptôme qui indique ce que l’on considérait de tous temps, dans une famille laborieuse, comme de « bon travail ». Un exemple : Les fils de greffiers et de

  1. Par excellence : en français dans le texte (N. d. T.)