Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/311

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’occasionne ce contraste, le contraste entre ce monde où, jusqu’à présent, nos vénérations avaient trouvé un refuge — ces vénérations à cause desquelles nous supportions peut-être de vivre — et un autre monde que nous formons nous-mêmes : c’est là une défiance de nous-mêmes, défiance implacable, foncière et radicale, qui s’empare toujours davantage de nous autres Européens, nous tient toujours plus dangereusement en sa puissance, et pourrait facilement placer les générations futures devant cette terrible éventualité : « Supprimez ou vos vénérations, ou bien — vous-mêmes ! » Le dernier cas aboutirait au nihilisme ; mais le premier cas n’aboutirait-il pas aussi — au nihilisme ? — C’est là notre point d’interrogation !

347.

Les croyants et leur besoin de croyance. — On mesure le degré de force de notre foi (ou plus exactement le degré de sa faiblesse) au nombre de principes « solides » qu’il lui faut pour se développer, de ces principes que votre foi ne veut pas voir ébranlés parce qu’ils lui servent de soutiens. Il me semble qu’aujourd’hui la plupart des gens en Europe ont encore besoin du christianisme, c’est pourquoi l’on continue à lui accorder créance. Car l’homme est ainsi fait : on pourrait lui réfuter mille fois un article de foi, — en admettant qu’il en ait besoin, il continuerait toujours à le tenir pour « vrai », — conformément à cette célèbre « preuve de force » dont parle la Bible. Quelques-uns ont encore besoin