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Autant de méfiance, autant de philosophie. Nous nous gardons bien de dire que le monde a moins de valeur : aujourd’hui cela nous paraîtrait même risible, si l’homme voulait avoir la prétention d’inventer des valeurs qui dépasseraient la valeur du monde véritable, — c’est de cela justement que nous sommes revenus, comme d’un lointain égarement de la vanité et de la déraison humaines, qui longtemps n’a pas été reconnu comme tel. Cet égarement a trouvé sa dernière expression dans le pessimisme moderne, une expression plus ancienne et plus forte dans la doctrine de Bouddha ; mais le christianisme lui aussi en est plein ; il se montre là d’une façon plus douteuse et plus équivoque, il est vrai, mais non moins séduisante à cause de cela. Toute cette attitude de « l’homme contre le monde », de l’homme principe « négateur du monde », de l’homme comme étalon des choses, comme juge de l’univers qui finit par mettre l’existence elle-même sur sa balance pour la trouver trop légère — le monstrueux mauvais goût de cette attitude s’est fait jour dans notre conscience et nous n’en ressentons que du dégoût, — nous nous mettons à rire rien qu’en trouvant « l’homme et le monde » placés l’un à côté de l’autre, séparés par la sublime présomption de la conjonction « et » ! Comment donc ? N’aurions-nous pas fait ainsi, rieurs que nous sommes, un pas de plus dans le mépris des hommes ? Et, par conséquent aussi, un pas de plus dans le pessimisme, dans le mépris de l’existence, telle que nous la percevons ? Ne sommes-nous pas, par cela même, tombés dans la défiance