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une quantité innombrable de fois ; et il n’y aura en elle rien de nouveau, au contraire ! il faut que chaque douleur et chaque joie, chaque pensée et chaque soupir, tout l’infiniment grand et l’infiniment petit de ta vie reviennent pour toi, et tout cela dans la même suite et le même ordre — et aussi cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et aussi cet instant et moi-même. L’éternel sablier de l’existence sera retourné toujours à nouveau — et toi avec lui, poussière des poussières ! » — Ne te jetterais-tu pas contre terre en grinçant des dents et ne maudirais-tu pas le démon qui parlerait ainsi ? Ou bien as-tu déjà vécu un instant prodigieux où tu lui répondrais : « Tu es un dieu, et jamais je n’ai entendu chose plus divine ! » Si cette pensée prenait de la force sur toi, tel que tu es, elle te transformerait peut-être, mais peut-être t’anéantirait-elle aussi ; la question « veux-tu cela encore une fois et une quantité innombrable de fois », cette question, en tout et pour tout, pèserait sur toutes tes actions d’un poids formidable ! Ou alors combien il te faudrait aimer la vie, que tu t’aimes toi-même pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation ! —


342.

Incipit tragœdia. — Lorsque Zarathoustra eut atteint sa trentième année, il quitta sa patrie et le lac Ourmi et s’en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s’en lassa point durant dix années. Mais enfin son cœur se trans-