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au moyen de la justice et du contrat tous ces instincts peuvent se conserver dans l’existence et garder raison en même temps. Nous qui ne trouvons dans notre conscience que les traces des dernières scènes de réconciliation, les définitifs règlements de comptes de ce long procès, nous nous figurons par conséquent qu’intelligere est quelque chose de conciliant, de juste, de bien, quelque chose d’essentiellement opposé aux instincts ; tandis que ce n’est en réalité qu’un certain rapport des instincts entre eux. Longtemps on a considéré la pensée consciente comme la pensée par excellence : maintenant seulement nous com­mençons à entrevoir la vérité, c’est-à-dire que la plus grande partie de notre activité intellectuelle s’effectue d’une façon inconsciente et sans que nous en ayons la sensation ; mais je crois que ces instincts qui luttent entre eux s’entendront fort bien à se rendre perceptibles et à se faire mal récipro­quement ; — il se peut que ce formidable et soudain épuisement dont tous les penseurs sont atteints ait ici son origine (c’est l’épuisement sur le champ de bataille). Oui, peut-être y a-t-il dans notre intérieur en lutte bien des héroïsmes cachés, mais certainement rien de divin, rien qui repose éternellement en soi-même, comme pensait Spinoza. La pensée consciente, et surtout celle des philosophes, est la moins violente et par conséquent aussi, relativement, la plus douce et la plus tranquille catégorie de la pensée : et c’est pourquoi il arrive le plus souvent au philosophe d’être trompé sur la nature de la connaissance.