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accablé sous le poids du sentiment de faire quelque chose de méprisable : — le « faire » lui-même était quelque chose de méprisable. « Seul au loisir et à la guerre il y a noblesse et honneur » : c’est ainsi que parlait la voix du préjugé antique !

330.

Approbation. — Le penseur n’a pas besoin d’approbations et d’applaudissements, pourvu qu’il soit certain de ses propres applaudissements : car de ceux-là il ne peut se passer. Y a-t-il des hommes qui peuvent en être privés, et même être privés de toute espèce d’approbation ? J’en doute fort. Même pour ce qui est des sages, Tacite, qui n’était pas un calomniateur de la sagesse, disait : quando etiam sapientibus gloriæ cupido novissima exuitur[1] — ce qui veut dire chez lui : jamais.

331.

Plutôt sourd qu’assourdi. — Autrefois on voulait se faire un bon renom : cela ne suffit plus, aujourd’hui que la place publique est devenue trop grande, — la renommée a besoin de cris. La conséquence en est que même les meilleurs gosiers se mettent à crier trop fort, et que les meilleures marchandises sont offertes par des voix enrouées ; sans clameurs de place publique et sans enrouement il ne peut plus y avoir de génie de nos jours. — Et voilà vraiment une bien vilaine époque pour le penseur : il faut qu’il apprenne encore à trouver son silence

  1. Note wikisource : « même pour les sages, la passion de la gloire est la dernière dont on se dépouille », Tacite, Histoires, IV, 6, traduction de Henri Goelzer, Les Belles Lettres.