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a besoin d’une cure énergique radicale et dernière. Et puisque les hommes ont tous prêté l’oreille, trop avidement, pendant des siècles, à ces maîtres, quelque chose de cette superstition qu’ils sont bien misérables a fini par passer réellement sur eux : en sorte que les voici trop disposés à soupirer, à trouver la vie indigne d’être goûtée et à faire tous grise mine, comme si l’existence était trop difficile à supporter. En vérité, ils sont furieusement assurés de leur vie, ils en sont amoureux et, pleins de ruses et de subtilités, ils veulent briser les choses désagréables et arracher l’épine de la souffrance et du malheur. Il me semble que l’on a toujours parlé avec exagération de la douleur et du malheur comme s’il était de bon ton d’exagérer ici : on se tait par contre avec intention au sujet des innombrables moyens de soulager la douleur, comme par exemple les narcotiques, ou la hâte fiévreuse des pensées, ou bien une position tranquille, ou bien encore les bons et les mauvais souvenirs, les intentions, les espoirs et toute espèce de fiertés et de compassions qui produisent presque des effets anesthésiques ; tandis qu’à un haut degré de souffrance l’évanouissement se produit de lui-même. Nous nous entendons fort bien à verser des douceurs sur nos amertumes, surtout sur l’amertume de l’âme ; nous avons des ressources dans notre bravoure et dans notre élévation, ainsi que dans les nobles délires de la soumission et de la résignation. Un dommage est à peine un dommage pendant une heure : d’une façon ou d’une autre, un présent nous est en même temps tombé du ciel — par exemple une force nou-