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après l’autre les choses qui ne font pas partie d’une pareille vie ; sans haine et sans répugnance, il voit comme aujourd’hui telle chose et demain telle autre prend congé de lui, semblable à une feuille jaunie que le moindre souffle détache de l’arbre : ou bien encore il ne s’aperçoit même pas qu’elle le quitte, tant son œil regarde sévèrement son but, en avant et non à côté, en arrière ou vers en bas. « Notre activité doit déterminer ce que nous omettons : en agissant nous omettons » — voilà qui me plaît, voilà mon placitum à moi. Mais je ne veux pas tendre à mon appauvrissement avec les yeux ouverts, je n’aime pas toutes les vertus négatives, les vertus dont la négation et le renoncement sont l’essence.

305.

L’empire sur soi-même. — Ces professeurs de morale qui recommandent, d’abord et avant tout, à l’homme de se posséder soi-même le gratifient ainsi d’une maladie singulière : je veux dire une irritabilité constante devant toutes les impulsions et les penchants naturels et, en quelque sorte, une espèce de démangeaison. Quoi qu’il leur advienne du dehors ou du dedans, une pensée, une attraction, une incitation — toujours cet homme irritable s’imagine que maintenant son empire sur soi-même pourrait être en danger : sans pouvoir se confier à aucun instinct, à aucun coup d’aile libre, il fait sans cesse un geste de défensive, armé contre lui-même, l’œil perçant et méfiant, lui qui s’est institué l’éternel gardien de sa tour. Oui, avec cela il peut