Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.

homme : il fait manquer en somme tout ce qu’il veut et entreprend. Ce à quoi il a mis son cœur, à l’occasion, l’a conduit plus d’une fois au bord du précipice et tout près de la chute ; et s’il y échappe, ce n’est certes pas avec un « œil poché » seulement. Croyez-vous qu’il en soit malheureux ? Il y a longtemps qu’il a décidé à part soi de ne pas prendre tellement au sérieux des désirs et des projets personnels. « Si ceci ne me réussit pas, se dit-il à lui-même, cela me réussira peut-être ; et au fond je ne sais pas si je dois avoir plus de reconnaissance à l’égard de mes insuccès qu’à l’égard de n’importe quel de mes succès. Suis-je fait pour être entêté et pour porter les cornes du taureau ? Ce qui fait pour moi la valeur et le résultat de la vie se trouve ailleurs ; ma fierté ainsi que ma misère se trouvent ailleurs. Je connais davantage la vie parce que j’ai été si souvent sur le point de la perdre : et voilà pourquoi la vie me procure plus de joie qu’à vous tous ! »

304.

En agissant nous omettons. — Au fond je n’aime pas toutes ces morales qui disent : « Ne fais pas telle chose ! Renonce ! Surmonte-toi ! » — J’aime par contre toutes ces autres morales qui me poussent à faire quelque chose, à le faire encore, et à en rêver du matin au soir et du soir au matin, à ne pas penser à autre chose qu’à : bien faire cela, aussi bien que moi seul je suis capable de le faire ! Celui qui vit ainsi dépouille continuellement l’une