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à lui-même » : — c’est dans toutes les situations dangereuses de la société l’éloge qui a la plus grande signification. La société sent avec satisfaction qu’elle possède un instrument sûr et prêt à tout moment, dans la vertu de l’un, dans l’ambition d’un autre, dans la réflexion et l’ardeur d’un troisième, — elle honore hautement ces natures d’instruments, cette fidélité à soi-même, cette inaltérabilité dans les opinions, les aspirations et même dans les vices. Une pareille appréciation qui fleurit et a fleuri partout en même temps que la moralité des mœurs produit des « caractères » et jette dans le décri tout changement, tout profit d’une expérience, toute transformation. Malgré tous les avantages que puisse présenter cette façon de penser, pour la connaissance elle est la plus dangereuse espèce de jugement général ; car c’est précisément la bonne volonté de celui qui cherche la connaissance, sans se décourager d’être sans cesse forcé de se déclarer contre l’opinion qu’il professait jusqu’ici et de se méfier en général de tout ce qui menace de se fixer — qui est ici condamnée et décriée. Le sentiment de celui qui cherche la connaissance étant en contradiction avec la « réputation fixe » est considéré comme déshonnête, tandis que la pétrification des opinions a pour elle tous les honneurs : — c’est sous l’empire de pareilles règles qu’il nous faut exister aujourd’hui ! Comme il est difficile de vivre lorsque l’on sent contre soi et autour de soi le jugement de plusieurs milliers d’années ! Il est probable que, durant des milliers d’années, la connaissance ait été atteinte de mauvaise conscience et qu’il ait dû