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rigueur dans les petites comme dans les grandes choses, cette rapidité dans l’enquête, le jugement et la condamnation a quelque chose qui inspire la crainte et le vertige. Il sera surtout effrayé par la façon dont on exige ce qu’il y a de plus difficile, dont est exécuté ce qu’il y a de meilleur, sans la récompense de l’éloge ou de la distinction, alors que le plus souvent se font entendre, comme parmi les soldats, le blâme et la verte réprimande — car faire bien, c’est la règle, manquer en quelque chose, l’exception ; et ici comme partout ailleurs, la règle est silencieuse. Il en est de cette « sévérité de la science » comme des formes de politesse dans la meilleure société : — elles effrayent celui qui n’est pas initié. Mais celui qui est habitué à elles n’aimerait pas vivre ailleurs que dans cette atmosphère claire, transparente, vigoureuse et fortement électrique, dans cette atmosphère virile. Partout ailleurs il ne trouve pas assez d’air et de propreté ; il craint qu’ailleurs son meilleur art ne soit utile à personne et qu’il ne le réjouirait pas lui-même, que la moitié de sa vie lui passerait entre les doigts, perdue dans des malentendus, que partout il faudrait beaucoup de précautions, de secrets, de considérations personnelles, — et tout cela serait une grande et inutile perte de force. Mais dans cet élément sévère et clair il possède sa force tout entière : ici il est à même de voler ! Pourquoi devrait-il redescendre dans ces eaux bourbeuses où il faut nager et patauger et tacher ses ailes ! — Non, ce serait trop difficile de vivre pour nous : est-ce de notre faute si nous sommes nés pour l’air pur, nous