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chaque moment ! Et bientôt cependant le silence se fera sur tous ces gens bruyants, vivants et joyeux de vivre ! Derrière chacun, se dresse son ombre, obscure compagnon de route ! Il en est toujours comme du dernier moment avant le départ d’un bateau d’émigrants : on a plus de choses à se dire que jamais, l’océan et son vide silence attendent impatiemment derrière tout ce bruit, — si avides, si certains de leur proie ! Et tous, tous s’imaginent que le passé n’est rien ou que le passé n’est que peu de chose et que l’avenir prochain est tout : de là cette hâte, ces cris, ce besoin de s’assourdir et de s’exploiter ! Chacun veut être le premier dans cet avenir, — et pourtant la mort et le silence de la mort sont les seules certitudes qu’ils aient tous en commun ! Comme il est étrange que cette seule certitude, cette seule communion soit presque impuissante à agir sur les hommes et qu’ils soient si loin de sentir cette fraternité de la mort ! Je suis heureux de constater que les hommes se refusent absolument à concevoir l’idée de la mort et j’aimerais bien contribuer à leur rendre encore cent fois plus digne d’être pensée l’idée de la vie.

279.

Amitié d’étoiles. — Nous étions amis et nous sommes devenus l’un pour l’autre des étrangers. Mais cela est bien ainsi et nous ne voulons ni nous en taire ni nous en cacher, comme si nous devions en avoir honte. Nous sommes deux vaisseaux dont chacun a son but et sa route tracée ; nous pouvons nous