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temps après, comme quelque chose qui « ne pouvait pas manquer », — quelque chose qui est plein de sens et d’une profonde utilité, précisément pour nous ! Y a-t-il une plus dangereuse séduction que de retirer sa foi aux dieux d’Épicure, ces insouciants inconnus, pour croire à une divinité quelconque, soucieuse et mesquine, qui connaît personnellement chaque petit cheveu sur notre tête et que les services les plus détestables ne dégoûtent point ? Eh bien ! — je veux dire malgré tout cela, — laissons en repos les dieux et aussi les génies serviables, pour nous contenter d’admettre que maintenant notre habileté, pratique et théorique, à interpréter et à arranger les événements atteint son apogée. Ne pensons pas non plus trop de bien de cette dextérité de notre sagesse, si nous sommes parfois surpris de la merveilleuse harmonie que produit le jeu sur notre instrument : une harmonie trop belle pour que nous osions nous l’attribuer à nous-mêmes. En effet, de-ci de-là, il y a quelqu’un qui se joue de nous — le cher hasard : à l’occasion, il nous conduit la main et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui réussit alors sous notre folle main.

278.

La pensée de la mort. — J’éprouve une joie mélancolique à vivre au milieu de cette confusion de ruelles, de besoins et de voix : combien de jouissances, d’impatiences, de désir, combien de soif de la vie et d’ivresse de la vie, viennent ici au jour à