Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dieu rayonnait d’eux ; de même toutes les décisions et toutes les prévisions d’un lointain avenir : car l’on avait les oracles et les secrets avertissements et l’on croyait aux prédictions. La « vérité » était conçue différemment, car l’aliéné pouvait autrefois passer pour son porte-parole — ce qui nous fait frissonner ou rire. Toute injustice produisait une autre impression sur le sentiment : car l’on craignait des représailles divines et non pas seulement le déshonneur et la pénalité civile. Qu’était la joie en un temps où l’on croyait au diable et au tentateur ? Qu’était la passion, lorsque l’on voyait, tout près, les démons aux aguets ? Qu’était la philosophie, quand le doute était considéré comme un péché de l’espèce la plus dangereuse et, en outre, comme un blasphème envers l’amour éternel, comme une défiance de tout ce qui était bon, élevé, pur et pitoyable ? — Nous avons donné aux choses une couleur nouvelle, et nous continuons sans cesse à les peindre autrement, — mais que pouvons-nous jusqu’à présent contre la splendeur de coloration de cette virtuose ancienne — je veux dire l’ancienne humanité.

153.

Homo poeta. — « Moi-même, qui ai fait de mes propres mains cette tragédie des tragédies, jusqu’au point où elle est terminée, moi qui ai été le premier à nouer dans l’existence le nœud de la morale et qui ai tiré si fort qu’un dieu seul pourrait le défaire — car ainsi l’exige Horace ! — moi-même j’ai