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on finit par se l’accorder à soi-même à l’égard des lois, des mœurs et des voisins. Le monothéisme, au contraire, cette conséquence rigide de la doctrine d’un homme normal — donc la foi en un dieu normal, à côté duquel il n’y a que des faux-dieux mensongers — fut peut-être jusqu’à présent le plus grand danger de l’humanité ; c’est alors que l’humanité fut menacée de cet arrêt prématuré que la plupart des autres espèces animales, autant que nous pouvons en juger, ont atteint depuis longtemps ; ces espèces animales qui croient toutes à un animal normal, à un idéal de leur espèce, et qui se sont définitivement identifiées à la moralité des mœurs. Dans le polythéisme se trouvait l’image première de la libre pensée et de la pensée multiple de l’homme : la force de se créer des yeux nouveaux et personnels, des yeux toujours plus nouveaux et toujours plus personnels : en sorte que, pour l’homme seul, parmi tous les animaux, il n’y a pas d’horizons et de perspectives éternels.

144.

Guerres de religion. — Le plus grand progrès des masses fut jusqu’à présent la guerre de religion, car elle est la preuve que la masse a commencé à traiter les idées avec respect. Les guerres de religion ne commencent que lorsque, par les subtiles disputes des sectes, la raison générale s’est affinée, en sorte que la populace elle-même devient pointilleuse, prend les petites choses au sérieux, et finit même par admettre que « l’éternel salut de