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à la faculté de mépriser l’homme en soi, faculté développée chez eux plus que chez aucun peuple) — les juifs prennent à leur monarque divin, à leur saint un plaisir analogue à celui que prenait la noblesse française devant Louis XIV. Cette noblesse, s’étant laissé prendre toute sa puissance et toute son autocratie, était devenue méprisable : pour ne point sentir cela, pour pouvoir l’oublier, elle avait besoin d’une splendeur royale, d’une autorité royale, d’une plénitude sans égale dans la puissance, à quoi seule la noblesse avait accès. En s’élevant conformément à ce privilège à la hauteur de la cour pour voir tout au-dessous de soi, pour considérer tout comme méprisable on arrivait à passer sur l’irritabilité de la conscience. C’est ainsi qu’avec intention on édifiait la tour de la puissance royale, toujours plus dans les nuages, en y adossant les dernières pierres de sa propre puissance.

137.

Pour parler en images. — Un Jésus-Christ ne pouvait être possible que dans un paysage judaïque — je veux dire dans un paysage sur lequel était toujours suspendue la sublime nuée d’orage de Jéhova en colère. Là seulement on pouvait considérer le passage rare et soudain d’un seul rayon de soleil à travers l’horrible et continuel ciel nocturne, comme un miracle de l’amour, comme un rayon de la « grâce » imméritée. Là seulement le Christ pouvait rêver son arc-en-ciel et son échelle céleste sur laquelle Dieu descendait vers les hommes ; partout