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manifestations d’un instinct de jeu intellectuel, innocent et heureux comme tout ce qui est jeu. Peu à peu le cerveau humain s’emplit de pareils jugements et de semblables convictions et, dans cette agglomération, il se produisit une fermentation, une lutte et un désir de puissance. Non seulement l’utilité et le plaisir, mais encore toute espèce d’instinct prirent partie dans la lutte pour les « vérités » ; la lutte intellectuelle devint une occupation, un charme, une vocation, une dignité — : la connaissance et l’aspiration au vrai prit place enfin comme un besoin, au milieu des autres besoins. Depuis lors, non seulement la foi et la conviction, mais encore l’examen, la négation, la méfiance, la contradiction devinrent une puissance, tous les « mauvais » instincts étaient sous-ordonnés à la connaissance, placés à son service, on leur prêta l’éclat de ce qui est permis, vénéré et utile, et finalement le regard et l’innocence du bien. La connaissance devint dès lors un morceau de la vie même, et, en tant que vie, une puissance toujours grandissante : jusqu’à ce qu’enfin la connaissance et cette antique erreur fondamentale se heurtassent réciproquement, toutes deux réunies étant la vie, toutes deux la puissance, toutes deux dans le même homme. Le penseur : voilà maintenant l’être où l’instinct de vérité et ces erreurs qui conservent la vie livrent leur premier combat, après que l’instinct de vérité, lui aussi, s’est affirmé comme une puissance qui conserve la vie. Par rapport à l’importance de cette lutte tout le reste est indifférent : en ce qui concerne la condition vitale la dernière question est ici posée et la pre-