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l’allemand a dû avoir un timbre d’une vulgarité insupportable : et encore de nos jours, au milieu de la populace italienne, dans la bouche des voyageurs, la langue allemande garde toujours des sons durs et rogues qui ont l’air de sortir de la forêt ou de demeures enfumées dans des contrées sans politesse. — Eh bien ! je remarque maintenant de nouveau que, parmi les antiques admirateurs des chancelleries, se propage un besoin analogue de noblesse dans les intonations, et que les Allemands commencent à se soumettre au « charme » d’un timbre tout particulier qui pourrait devenir à la longue un véritable danger pour la langue allemande, — car l’on chercherait en vain des intonations aussi horribles en Europe. Avoir quelque chose d’ironique, de froid, d’indifférent, de nonchalant dans la voix : c’est ce que les Allemands tiennent maintenant pour « distingué » — et je perçois la bonne volonté que l’on met à accueillir cette distinction dans le langage des jeunes fonctionnaires, des professeurs, des femmes, des commerçants ; et les petites filles elles-mêmes imitent déjà cet allemand d’officier. Car c’est l’officier, l’officier prussien, qui est l’inventeur de ces intonations : ce même officier qui, en tant que militaire et homme du métier, possède cet admirable tact de modestie, sur quoi tous les Allemands (y compris le professeur et le musicien) pourraient prendre exemple. Mais dès qu’il se met à parler et à se mouvoir il devient la figure la plus immodeste, celle qui est du plus mauvais goût dans la vieille Europe — et cela certainement sans qu’il s’en doute ! Et aussi