Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/148

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec les bêtes ; on sait qu’en cette matière le précurseur de Wagner fut Voltaire qui, semblable en cela à ses successeurs, sut peut-être déjà travestir en pitié envers les animaux sa haine contre certaines choses et certaines gens. La haine de Wagner contre la science, cette haine qui parle dans son prêche, n’est du moins pas inspirée par l’esprit de charité et de bonté, cela est certain, — et encore moins, comme il va de soi, par l’esprit en général. — En fin de compte, la philosophie d’un artiste importe peu, pour le cas où elle ne serait qu’une philosophie ajoutée après coup, et ne ferait point de mal à son art même. On ne peut pas assez se garder d’en vouloir à un artiste à cause d’une mascarade d’occasion, peut-être souvent très malheureuse et pleine de prétentions ; n’oublions donc pas que ces chers artistes sont, sans exception, un peu comédiens, qu’ils doivent l’être, et qu’à la longue ils s’en tireraient difficilement sans comédie. Restons fidèles à Wagner pour ce qui est chez lui vrai et original, — et surtout en cela que nous restions nous-mêmes, nous qui sommes ses disciples, fidèles à ce qui chez nous est vrai et original. Laissons-lui ses mouvements d’humeur et ses crampes intellectuelles, considérons plutôt, avec équité, quels sont les nourritures et les besoins singuliers que son art a le droit d’avoir pour pouvoir vivre et grandir ! Il n’importe pas que, comme penseur, il ait si souvent tort ; la justice et la patience ne sont pas son affaire. Il suffit que sa vie ait raison devant elle-même et qu’elle garde raison : — cette vie qui s’adresse à chacun de nous pour s’écrier : « Sois