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un désespoir aimable l’aimable déesse ; souvent il y a des rapprochements, des réconciliations momentanées, puis un recul soudain et un éclat de rire : souvent le rideau est levé pour laisser entrer une lumière crue, tandis que justement la déesse jouit de son crépuscule et de ses couleurs sombres ; souvent on lui retourne les paroles dans la bouche et on les chante sur une mélodie qui lui fait de ses fines mains se boucher ses fines oreilles — et c’est ainsi qu’il y a mille plaisirs de la guerre, sans oublier les défaites, dont les gens dépourvus de poésie, ceux que l’on appelle les hommes prosaïques, ne savent rien du tout : — ce qui fait que ceux-ci n’écrivent et ne parlent qu’en mauvaise prose ! La guerre est la mère de toutes les bonnes choses, la guerre est aussi la mère de toute bonne prose ! — Il y eut dans ce siècle quatre hommes très rares et véritablement poètes qui ont touché à la maîtrise de la prose, à cette maîtrise pour quoi, d’autre part, ce siècle n’est point fait — à cause de son manque de poésie, comme je l’ai indiqué. Abstraction faite de Gœthe que le siècle qui l’a produit revendique avec raison, je ne vois que Giacomo Léopardi, Prosper Mérimée, Ralph Waldo Emerson et Walter Savage Landor, l’auteur des Imaginary Conversations, qui fussent dignes d’être appelés maîtres de la prose.

93.

Mais toi, pourquoi écris-tu donc ?A : je ne suis pas de ceux qui pensent avec la plume mouil-