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portée en hâte ; l’autre ne donne que les ombres, les pastiches en gris et noir de ce qui, la veille, s’est édifié dans son âme.

91.

Précaution. — Alfieri, on le sait, a beaucoup menti lorsqu’il raconta aux contemporains étonnés l’histoire de sa vie. C’est le despotisme à l’égard de lui-même qui l’a fait mentir, ce despotisme qu’il montra par exemple dans la façon dont il se créa sa propre langue, dont il se fit poète tyranniquement : — il avait enfin trouvé une forme sévère de supériorité à quoi il contraignit sa vie et sa mémoire, non sans avoir beaucoup souffert. — Je n’aurais pas non plus foi en une autobiographie de Platon ; tout aussi peu qu’en les Confessions de Rousseau ou la Vita nuova du Dante.

92.

Prose et poésie. — Il ne faut pas oublier que les grands maîtres de la prose ont presque toujours été poètes, soit publiquement, soit seulement en secret et pour l’intimité ; et vraiment, ce n’est qu’en regard de la poésie que l’on écrit de bonne prose ! Car celle-ci est une aimable guerre ininterrompue avec la poésie : tout son charme consiste à échapper sans cesse à la poésie et à y contredire ; toute abstraction veut être débitée avec une voix moqueuse, comme une malice à l’endroit de la poésie ; chaque sécheresse, chaque froideur doit pousser à