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parmi les premiers qui glorifient la nouvelle valeur, et paraîtront souvent être ceux qui, les premiers, appellent bonne cette valeur et la taxent comme telle. Mais ceci est, je le répète, une erreur : les poètes sont seulement plus rapides et plus bruyants que les véritables taxateurs. — Mais qui donc sont ceux-ci ? — Ce sont les riches et les oisifs.

86.

Au théâtre. — Aujourd’hui, j’ai de nouveau éprouvé des sentiments forts et élevés et si, pour finir la journée, je pouvais ce soir écouter de la musique, je sais fort bien de quel genre de musique je ne voudrais point, de celui qui cherche à enivrer ses auditeurs et les pousse avec violence, pour un instant, à des sentiments forts et élevés ; — des hommes à l’âme quotidienne, ces auditeurs, qui le soir ne ressemblent pas à des vainqueurs sur des chars de triomphe, mais à des mulets fatigués que la vie a trop souvent fustigés de son fouet. Ces gens connaîtraient-ils seulement les « états d’âme supérieurs » s’il n’existait pas des remèdes enivrants et des coups de fouets idéalistes ! — et c’est ainsi qu’ils ont leurs excitateurs à l’enthousiasme comme ils ont leurs vins. Mais que m’importe leur boisson et leur ivresse ! Qu’importe à l’homme enthousiasmé le vin ! Il regarde au contraire, avec une espèce de dégoût, le moyen et le réparateur qui doivent provoquer ici un effet sans cause suffisante, une singerie de la grande marée de l’âme ! — Comment ! on offre à la taupe des ailes