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comme procédé d’éducation : mais bien avant qu’il y eût des philosophes on accordait à la musique la force de décharger les passions, de purifier l’âme, d’adoucir la ferocia animi — et justement par ce qu’il y a de rythmique dans la musique. Lorsque la juste tension et l’harmonie de l’âme venaient à se perdre, il fallait se mettre à danser, — c’était là l’ordonnance de cette thérapeutique. Avec elle Terpandre apaisa une émeute, Empédocle adoucit un fou furieux, Damon purifia un jeune homme languissant d’amour ; avec elle on mettait aussi en traitement les dieux sauvages, assoiffés de vengeance. D’abord, en portant à leur comble le délire et l’extravagance de leurs passions, on rendait donc l’enragé frénétique, l’assoiffé ivre de vengeance : — tous les cultes orgiaques veulent décharger en une seule fois la férocité d’une divinité et en faire une orgie pour qu’après cela elle se sente plus libre et plus tranquille et laisse l’homme en repos. Melos signifie, d’après sa racine, un moyen d’apaisement, non parce que le chant est doux par lui-même, mais puisque ses effets ultérieurs produisent la douceur. — Et l’on admet que, non seulement dans le chant religieux, mais encore dans le chant profane des temps les plus reculés, le rythme exerçait une puissance magique, par exemple lorsque l’on puisait de l’eau ou lorsque l’on ramait : le chant est un enchantement des démons que l’on imaginait actifs dès que l’on en usait, il rend les démons serviables, esclaves et instruments de l’homme. Et dès que l’on agit on tient un motif à chanter, chaque action est rattachée au