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que l’humanité aurait disparu. Au-dessus planait et plane sans cesse, comme son plus grand danger, la folie prête à éclater — ce qui est précisément l’irruption du bon plaisir dans le sentiment, la vue et l’ouïe, la jouissance dans les débauches de l’esprit, la joie que procure l’humaine déraison. Ce n’est pas la vérité et la certitude qui est l’opposé du monde des insensés, mais la généralité et l’obligation pour tous d’une même croyance, en un mot l’exclusion du bon plaisir dans le jugement. Et le plus grand travail de l’humanité fut jusqu’à présent celui de s’accorder sur beaucoup de choses et de s’imposer une loi des conformités — quelle que soit la vérité ou la fausseté de ces choses. C’est là l’éducation du cerveau que l’homme a reçu ; — mais les instincts contraires sont encore si puissants que l’on ne peut en somme parler de l’avenir de l’humanité qu’avec très peu de confiance. L’image des choses se recule et se déplace encore sans cesse, et peut-être qu’à partir de maintenant il en sera ainsi plus souvent encore, et plus rapidement que jamais ; sans cesse les esprits justement les plus distingués se raidissent contre cette obligation pour tous — et en tout premier lieu les explorateurs de la vérité ! Sans cesse cette croyance, en tant que croyance de tout le monde, engendre, chez les esprits raffinés, un dégoût et une nouvelle concupiscence : et cette allure lente qu’elle exige pour tout processus intellectuel, cette imitation de la tortue qui fait autorité ici, à elle seule déjà convertit en déserteurs les artistes et les poètes ; — c’est dans ces esprits impatients qu’éclate une véritable joie de la folie, puisque la