Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
NIETZSCHE CONTRE WAGNER

lui-même et avant tout de la tragédie, et cela par un excès de haute et de malicieuse parodie du tragique même, de tout ce terrible sérieux terrestre, et des misères terrestres d’autrefois, parodie d’une forme enfin vaincue, la forme la plus grossière de ce qu’il y a d’anti-naturel dans l’idéal ascétique. Parsifal est un sujet d’opérette par excellence. Le Parsifal de Wagner est-il le sourire caché du maître, ce sourire de supériorité qui se moque de lui-même, le triomphe de sa dernière, de sa suprême liberté d’artiste, de son au-delà d’artiste — est-ce Wagner qui sait rire de lui-même ?… On pourrait, je le répète encore, le souhaiter. Car que serait Parsifal pris au sérieux ? Est-il vraiment nécessaire de voir en lui (pour employer une expression dont on s’est servi en ma présence) « le produit d’une haine féroce contre la science, l’esprit et la sensualité » ? un anathème contre les sens et l’esprit concentré dans un même souffle de haine ? Une apostasie et une volteface vers l’idéal d’un christianisme maladif et obscurantiste ? Et enfin une négation de soi, un effacement de soi de la part d’un artiste qui, jusqu’alors, de toute la puissance de sa volonté, avait travaillé à la tâche contraire, savoir à la spiritualisation et à la sensualisation suprême de son art ? Et non pas seulement de son art mais aussi de sa vie ? Qu’on se rappelle avec quel enthousiasme Wagner a marché jadis sur les traces du philosophe Feuerbach. Le mot de Feuerbach « la saine sensualité » retentit pendant les années trente et quarante de ce siècle, pour Wagner comme pour beaucoup d’Allemands — ils s’appelaient la jeune Allemagne — comme le mot ré-