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LE CAS WAGNER


biles stupidités. Il cherche d’abord à se garantir à lui-même l’effet de son œuvre, il commence par le troisième acte, il fait la preuve de son œuvre, par l’effet final qu’elle produit. Avec une pareille entente du théâtre comme fil conducteur on n’est pas en danger de faire un drame sans s’en douter. Le drame exige une dure logique : mais qu’importait à Wagner la logique ! Encore une fois : ce n’était pas le public de Corneille qu’il avait à ménager : il n’avait devant lui que des Allemands ! On sait à quel problème le dramaturge met toute sa force et parfois sue sang et eau : il faut donner à l’intrigue la nécessité, la donner de même au dénouement, de telle sorte que tous deux ne soient possibles que d’une seule manière, que tous deux produisent l’impression de la liberté (principe du moindre effort). Eh bien, à cela Wagner sue le moins de sang possible, il est certain que pour compliquer et pour défaire les intrigues il fait le moindre effort. Qu’on prenne sous le microscope n’importe quelle « intrigue » de Wagner — il y aura de quoi rire, je vous le promets. Rien n’est plus réjouissant que l’intrigue de Tristan, si ce n’est l’intrigue des Maîtres Chanteurs. Wagner n’est pas un dramaturge, qu’on ne s’y laisse pas prendre. Il aime le mot « drame » : voilà tout, — il a toujours aimé les mots sonores. Le mot « drame », dans ses écrits, n’est malgré cela qu’un simple malentendu (— et aussi une habileté : Wagner fit toujours le grand seigneur vis-à-vis du mot « opéra » —) ; à peu près comme le mot « esprit » dans le Nouveau Testament n’est qu’un malentendu. — Il n’était déjà pas assez psychologue pour le drame ; il se dérobait instinctivement à la