Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
L’ANTÉCHRIST


tradition, c’est-à-dire l’affirmation que la loi a existé de temps immémorial, que ce serait un manque de respect, un crime envers les ancêtres que de la mettre en doute. L’autorité de la loi est fondée sur ces deux thèses : Dieu l’a donnée, les ancêtres l’ont vécue. — La raison supérieure de cette procédure se découvre dans l’intention d’éloigner peu à peu la conscience de la vie dont la justesse est reconnue (c’est-à-dire démontrée par une expérience énorme et soigneusement passée au crible) : c’est ainsi que l’on atteint ce complet automatisme de l’instinct — condition première de toute maîtrise, de toute perfection dans l’art de la vie. Dresser un code dans le genre de celui de Manou, c’est accorder dès lors à un peuple le droit d’être maître, de devenir parfait, — d’ambitionner le plus sublime art de la vie. Pour ce, il faut le rendre inconscient : c’est le but de tous les saints mensonges. — L’ordre des castes, la loi supérieure et dominante, n’est que la sanction d’un ordre naturel, d’une loi naturelle de premier ordre qu’aucune volonté arbitraire, nulle idée moderne, ne saurait renverser. Dans toute société saine on distingue trois types psychologiques qui gravitent différemment, mais qui sont soumis l’un à l’autre, ayant chacun sa propre hygiène, son propre domaine de travail, son propre sentiment de perfection et de maîtrise. C’est la nature et non Manou qui sépare les hommes de prépondérance intellectuelle et ceux de prépondérance musculaire et de tempéraments forts et ceux qui ne se distinguent par aucune prépondérance, les troisièmes, les médiocres — les derniers sont le grand nombre, les premiers sont l’élite. La caste supé-